Au mois de novembre dernier, le journal Nature Geoscience a publié une série d'articles et de commentaires rappelant les défis que devra affronter le monde du XXIème siècle pour assurer sa demande en métaux bruts (acier, cuivre, aluminium...), particulièrement importante si l'on souhaite effectuer une transition vers une société à faible émission de carbone basée sur l'utilisation d'énergies renouvelables. L'occasion aux éditeurs de poser la question : Et si l'exploration minière des corps planétaires répondait à ces besoins ?

Le potentiel des énergies renouvelables

Vidal et al. [2013] (chercheurs à l'université de Grenoble) nous rappellent, dans leur article "Metals for a low-carbon society", le potentiel global des énergies renouvelables. La puissance délivrée par le Soleil à la surface de la Terre est de 175 000 TW (térawatts), l'énergie géothermique de notre planète a un potentiel global de 40 à 50 TW et celle fournie par mécanismes gravitationnels (par exemple, les forces de marées) équivaut à 3-4 TW. En comparaison, les besoins de l'humanité projetés jusqu'à 2050 sont de 16 à 32 TW. Bien sûr, exploiter toute cette énergie à notre disposition ne peut se faire sans un impact négative sur le système Terre, par exemple, on ne peut détourner toute la puissance solaire sans en affecter la flore qui s'en nourrit, et les technologies pour une exploitation si considérable, de toute façon, n'existent pas. Mais ces chiffres montrent que la quantité de puissance disponible est supérieure de plusieurs ordres de grandeurs à nos propres besoins et, ainsi, qu'une exploitation intelligente de ces différentes sources peut fournir une solution raisonnable à la plupart de nos besoins énergétiques.

Vers une crise des métaux ?

Une société basée sur de telles énergies peut fortement réduire l'impact climatique provoquée par la transformation de matières fossiles (pétrole, gaz...), ou la dangerosité et les déchets issus de l'exploitation des sources fissiles (nucléaire). Les sources de l'énergie solaire ou éolienne sont renouvelables et leur transformation à un impact considérablement moins néfaste. Cependant, les infrastructures nécessaires à leur exploitation demandent beaucoup plus de métaux bruts et de minerais. Pour une puissance délivrée équivalente, la construction d'une usine transformant l'énergie éolienne ou solaire demande jusqu'à 90 fois plus d'aluminium et 50 fois plus d'acier/fer/cuivre que pour une centrale à énergie fossile ou nucléaire (figure 1). D'après les projections du World Wide Fund for Nature (WWF), l'énergie délivrée par le solaire et l'éolien sera, en 2035, 30 fois supérieure à aujourd'hui (figure 2). Ces besoins correspondent à une augmentation de la production de métaux de 5 à 18 % par an c'est à dire, sur une période de 10-20 ans, une production totale supérieure à celle de toute l'humanité depuis ses origines jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas peu, surtout si on ajoute ces chiffres à la future demande en métaux du secteur électronique (terminaux mobiles, ordinateurs...) qui est légèrement moins dynamique (+5% par an) mais loin d'être négligeable.

Besoins en matière brute pour la construction de centrale d'énergie fournissant 1 MW

Fig.1. Besoins en matière brute pour la construction de centrale d'énergie fournissant 1 MW. D'aprés Vidal et al., [2013].

Cependant, Herrington [2013] dans "Road map to mineral supply", précise que ce n'est pas tant la pénurie de métaux bruts qui doit le plus nous inquiéter. En effet, l'amélioration depuis une dizaine d'années des techniques d'extraction rend économiquement viable l'exploitation de gisements autrefois inaccessibles, y compris près de chez nous, et permettant de répondre à nos besoins pour les prochains millénaires (rien que ça). Mais l'accroissement de la production de métaux posent d'autres problèmes. L'Europe, par exemple, consomme 20% de la production mondiale, mais n'en produit que 1,5%, ce qui la rend dépendante des quelques grandes nations exportatrices, accroissant les risques d'instabilités géopolitiques. La Chine, par exemple, a volontairement et drastiquement réduit son exportation de métaux rares entre 2009 et 2012. L'accélération de la production à grande échelle génère aussi des problèmes éthiques d'exploitation des ouvriers dans certains pays comme le Chili. Il est possible de se concentrer sur l'extraction de ressources locales (comme on en découvre en Europe), mais les législations nationales et l'impact environnemental de tels procédés en limiteront l'étendue (sûrement pour notre plus grand bien).

Evolution des besoins en matériaux bruts pour la construction de centrales photovoltaïques de type I et II

Fig.2. Evolution des besoins en matériaux bruts pour la construction de centrales photovoltaïques de type I (carrés blancs) et II (carrés pleins). Ces chiffres sont à comparer avec la production contemporaine totale de ces matériaux (celles de 2010 apparaissent en lignes horizontales pointillées) [Vidal et al, 2013].

Etendre les frontières de l'exploration minière

Fort ce constat, l'éditorial de "Nature Geoscience" de novembre 2013 intitulé "Expanding boundaries of exploration", propose d'optimiser notre utilisation des métaux par une production et un recyclage raisonné, mais prévient que cela ne suffira pas à satisfaire la demande. Il en conclut qu'il faut explorer de nouvelles frontières donnant accès à des gisements hors des territoires nationaux. Le premier territoire dont il est question sont les fonds océaniques, dont les réserves sont vastes. L'augmentation du cours des métaux et l'amélioration des technologies en rend l'exploitation économique possible, comme en atteste le récent contrat alloué en 2011 par le gouvernement de Papouasie Nouvelle Guinée à la société Nautilus Minerals pour développer de telles activités dans la mer de Bismarck. Néanmoins, l'extraction des métaux requiert la plupart du temps l'utilisation de produits polluants, comme le cyanure ou le mercure, dont les rejets deviennent difficiles à surveiller en zones offshores et à plusieurs milliers de mètres de profondeurs. De plus, en cas de fuite, le pouvoir de mélange des océans garantissent un grand étalement spatial de ces polluants qu'il sera difficile de contrôler. Enfin, de nombreux gisements se trouvent autour d'évents thermaux où subsistent des communautés uniques d'organismes sous-marins dont on sait très peu de choses et qui seraient, de facto, menacées par les activités d'extraction.

L'option de l'exploitation des corps planétaires

On peut ainsi se retrouver dans le paradoxe où la production d'énergie renouvelable, bien que limitant l'émission de gaz à effet de serre, entraîne d'autres risques environnementaux mais aussi géopolitiques et éthiques, et ce en raison de la production de métaux nécessaires à la construction des infrastructures de transformation de l'énergie.

L'éditorial de Nature Geoscience souligne qu'à la vue de ces conséquences, l'exploitation des corps de notre système solaire n'apparaît plus comme une utopie, mais comme une option raisonnable. Cette activité aurait l'avantage de réduire considérablement les risques environnementaux car étant effectuée sur des corps distants (notre Lune et certains astéroïdes) déconnectés de notre écosystème et dénués de biosphère, faisant des énergies renouvelables une industrie réellement propre. Avec ce constat sous les yeux et (surtout) le potentiel économique lié à l'explosion du marché des métaux, on comprend mieux alors la motivation des entreprises Planetary Ressources (financé par James Cameron et les dirigeants de Google) et Deep Space Industries, respectivement créées en 2010 et 2013, et qui souhaitent initier le segment du minier extraterrestre.

Néanmoins, on ne peut nier les obstacles considérables qui se dressent sur la route de l'exploitation des ressources planétaires. Dans un premier temps, la localisation et le potentiel des gisements extraterrestres restent à évaluer (comme je l'illustrais dans l'article "Nos connaissances des ressources lunaires sont insuffisantes à une activité humaine"), et ce n'est pas une maigre tâche. Le vide juridique qui entoure les activités spatiales est aussi un risque majeur au développement incontrôlé d'une telle industrie. Il y a un énorme effort de réflexion à faire sur les nouvelles questions d'éthiques et de propriétés qui y sont liées. Gageons que l'absence de législation n'y est pas pour rien dans la motivation si précoce des deux sociétés précédemment citées. Précoce, car la rentabilité de ce secteur ne peut se construire que sur du très long terme après un investissement considérable dans l'exploration minière et le développement technologique. Mais, comme le rappelle Nature Geoscience, l'exploitation des fonds océaniques n'était elle pas non plus de la science-fiction il y a un certain temps ?

Quoi qu'il en soit, il est bien possible que le choix, aujourd'hui, d'une politique énergétique de sauvegarde de l'environnement nous amène, demain, à nous affranchir des ressources minières terrestres pour nous conduire, ce faisant, sur le chemin de l'exploitation planétaire.


Herrington R. (2013). "Road map to mineral supply", Nature Geoscience, vol. 6, p.892-8964.
Vidal O., Goffé B., and Arndt N. (2013). "Metals for a low-carbon society", Nature Geoscience, vol. 6, p.894-896.
Editorial board (2013). "Expanding boundaries of exploration", Nature Geoscience, vol. 6, p.89.

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