Soderlund et al. [2013] présentent les résultats de simulations qui tentent de prédire la dynamique des courants marins animant l'océan de la lune Europe. Les auteurs concluent à des échanges glace/eau particulièrement efficaces pour faire remonter le matériel océanique en surface et, ainsi, le rendre plus facilement accessibles à nos investigations futures.

Un océan propice

Europe (voir Europe: Première approche) est une des nombreuses lunes glacées de notre système solaire et, comme plusieurs d'entre elles, elle doit dissiper l'énergie interne générée par des interactions gravitationnelles dont sa planète hôte (ici, Jupiter) est en partie responsable. Le résultat est un océan qui arrive à se maintenir liquide, recouvert d'une croûte de glace de 1-30km d'épaisseur. La particularité de l'océan d'Europe, si ce n'est qu'il est plus grand en volume que tout les océans terrestres réunis, c'est qu'il semble pouvoir rassembler tout les ingrédients nécessaires au développement biologique: de l'eau, de l'énergie et des briques organiques via des échanges avec des fonds océaniques actifs et probablement silicatés (rocheux) et, enfin, du temps. En effet, tout indique que l'océan d'Europe, contrairement à celui d'Encelade autour de Saturne, existe depuis plusieurs milliards d'années, augmentant les chances pour qu'une biosphère ait eu le temps d'émerger.

Caractéristiques de l'océan sous-gaciaire d'Europe à l'interface avec la croûte glacée

Fig.1. Caractéristiques de l'océan sous-gaciaire d'Europe à l'interface avec la croûte glacée. Adapté de Soderlund et al. [2013]

Des terrains chaotiques

La surface glacée d'Europe est parcourue par des terrains chaotiques, aussi appelés "matrices de glace", principalement concentrés dans les régions équatoriales. Ces terrains ressemblent à de la glace qui a été détruite puis reformée, similaire aux zones terminales des glaciers terrestres polaires qui se déchargent dans la mer, créant un champ complexe d'icebergs de toute tailles immobilisés dans la banquise hivernale. De nombreuses hypothèses ont tentées d'expliquer les forces à l'origine de la dislocation de ces terrains avec des résultats qui ne rendaient pas compte de la réalité. Par exemple, les simulations impliquant les interactions gravitationnelles avec Jupiter indiquaient que la glace devaient se briser préférentiellement aux pôles. Bien sûr, on se doutait bien qu'il devait aussi exister des intéractions entre l'océan et la croûte de glace elle-même mais les seules simulations essayant d'en rendre compte étaient en 2D et obtenaient le même résultat: une croûte de glace qui se disloque aux pôles.

Des courants marins

Soderlund et al [2013] ont mis en place une simulation 3D pour reconstituer la dynamique des courants marins qui devraient animer l'océan d'Europe. Leurs modélisations indiquent qu'il y aurait des courants ascendants aux régions équatoriales et descendants au niveau des pôles. Ces échangent entre les fonds océaniques et le sommet de l'océan (interface glace/eau) s'effectueraient lentement, à des vitesses de l'ordre de 3 cm/s. Plus rapides sont les courants à l'interface glace/eau qui se déplaceraient d'Est en Ouest aux alentour de l'équateur (et dans l'autre sens aux pôles) à une vitesse moyenne de 2,5 m/s.

Du matériel océanique en surface

D'un point de vue thermique, le résultat de cette dynamique marine est une température océanique plus importante dans les régions équatoriales. L'effet direct serait un amincissement de la croûte de glace en contact avec l'océan. Cependant, cette différence d'épaisseur avec la glace des pôles, déclencherait un phénomène dit de "ice pump", ou pompe de glace, qui existe pour certains iceshelfs terrestres. Ce phénomène fait geler la glace océanique (on parle d'accrétion) à l'endroit où la croûte est plus mince car la pression y est plus faible et, grâce à des remontées thermiques, un système d'échange très efficace entre l'océan et la croûte de glace serait ainsi actif sur Europe, faisant resurger du matériel océanique à la surface au niveau des terrains chaotiques et leur donnant leur couleur plus sombre.

Ainsi, bien que cet océan sous-glaciaire nous soit encore inaccessible, si jamais une biosphère s'y est développée, on peut s'attendre à en retrouver des signatures dans le matériel océanique remonté en surface d'Europe, plus facilement analysable par des sondes spatiales. La prochaine mission qui la visitera sera JUICE (Jupiter Icy Moon Explorer) de l'agence spatiale européene (ESA) qui en effectuera deux survols vers 2030-32 avant de se mettre en orbite autour de Ganymède. La NASA prépare aussi la mission Europa Clipper qui prévoit une quarantaine de survols de la lune glacée mais, à ce jour, son financement n'a toujours pas été confirmé.

Enfin, toutes mes félicitations à Krista Soderlund, ma co-bureau à L'Institut de Géophysique de L'Université du Texas à Austin, pour cette étude !


Soderlund, K. M., Schmidt, B. E., Wicht J. & Blankenship D. D. (2013) Ocean-driven heating of Europe's icy shell at low latitudes. Nature Geosci. doi:10.1038/ngeo2021.

Next Post Previous Post