Shtarkman et al. [2013] viennent de publier une analyse génomique du contenu de la glace d'accrétion du lac sous-glaciaire de Vostok en Antarctique et y ont découvert 3507 séquences de gènes différentes dont ils réalisent la taxonomie. Le résultat est un fabuleux inventaire sur la faune/flore que pourrait renfermer le lac sous-glaciaire.


Figure de couverture. Station Russe de Vostok sur le plateau de la calotte Antarctique.

Un isolement unique

Le lac Vostok est un de ces rares lieux privé d'une interaction directe avec le reste de l'environnement terrestre depuis 15 à 35 millions d'années. A cette époque, les auteurs de l'étude nous rappellent que le lac était probablement ouvert à l'air libre au sein d'un écosystème forestier, et donc grouillant de vie comme pour n'importe quel lac actuel de Sibérie ou d'Alaska. Avec l'apparition et la croissance de la calotte Antarctique, la glace a progressivement recouvert le lac pour définitivement l'isoler du reste de l'écosystème terrestre.

Aujourd'hui, le lac Vostok, recouvert par ~3700 m de glace et privé de la lumière du Soleil, suscite de nombreuses questions. Parmi elles, on se demande comment la vie, dans la mesure où elle ait pu survivre, s'est adaptée durant les derniers 15-35 millions d'années, soit une échelle de temps où les mécanismes de l'évolution peuvent pleinement s'exprimer et aboutir à l'émergence de nouvelles espèces. C'est un cas un peu similaire à l'île de Madagascar, dont la faune et la flore, après la séparation d'avec le continent africain il y a 65 millions d'années, s'est développée en complète autonomie et a donné naissance à des espèces endémiques surprenantes. A cette différence que Madagascar est restée dans un écosystème terrestre classique (en contact avec l'atmosphère et ses manifestations physiques), alors que Vostok est devenu un écosystème "sous-glaciaire", beaucoup plus isolé et exerçant des contraintes très fortes sur le vivant.

Configuration du forage du lac Vostok en Antarctique

Fig.1. Configuration du forage du lac Vostok en Antarctique. (modifié de Nicolle Rager-Fuller/NSF).

Un biosystème riche

Les opérations de forage conduites à la station russe Vostok sont depuis peu en mesure d'atteindre l'eau liquide du lac sous glaciaire. A ce qu'on en dit, cela n'a pas encore été réalisé de peur de contaminer l'eau avec les lubrifiants du système de forage. Qu'à cela ne tienne, les auteurs de l'étude ont analysé le contenu de la glace d'accrétion prise en sandwich entre le lac lui même et la glace météoritique (formée par précipitation et qui constitue la calotte Antarctique). La glace d'accrétion résulte d'un mécanisme très simple: l'eau du lac échange naturellement de l'énergie avec le matériel glaciaire qui le surplombe. Suivant le bilan de cet échange, soit c'est la glace qui fond, soit c'est l'eau qui gèle. C'est ce dernier cas de figure qui se réalise à Vostok.

La glace d'accrétion est donc de l'eau du lac qui a gelé, et 3507 séquences de gènes viennent d'y être découvertes. Les auteurs avancent l'hypothèse qu'elles appartiennent à presque autant d'espèces différentes. Dans ces séquences, on trouve:

  • 96 % provenant de bactéries
  • 4% provenant d'eucaryotes (organismes dont la ou les cellules ont un noyau)
  • et seulement 2 des séquences appartiennent à des archées (organismes unicellulaires sans noyau)

Les auteurs vont plus loin en réalisant un travail de taxonomie très détaillé, c'est-à-dire en comparant ces séquences avec les bibliothèques de gènes qui ont été collectées auprès des espèces terrestres que nous connaissons. Parmi l'inventaire un peu complexe qu'ils déroulent, on retiendra que 150 de ces séquences sont très similaires à des organismes multi-cellulaires, la plupart appartenant au règne des fungi (champignons) mais on retrouve aussi des séquences proches de bivalves, d'arthropodes et de rotifères (zooplanctons). Il y a également des bactéries parasitaires et symbiotiques généralement associées à des organismes hôtes tel que des crustacés et des poissons. Au delà de l'inventaire des espèces, on retrouve un nombre incroyable de caractéristiques associées, parfois tellement contradictoires qu'on a du mal à croire qu'elles peuvent se cotoyer dans un milieu si réstreint : anaerobique, aerobique, psychrophilique, thermophilique, halophilique, alkaliphilique, acidophilique, aquatique et marine.

Des implications pour les lunes glacées

Les auteurs rappellent que tout cela n'est sûrement qu'un petit échantillon de l'écosystème du lac Vostok, dont la biodiversité doit être bien supérieure. On imagine sans mal que les recherches vont maintenant se tourner vers une meilleure identification des espèces présentes et de leur caractère possiblement endémique.

Mais au-delà, beaucoup de spécialistes considèrent aussi le lac Vostock comme un analogue d'Europe, lune de Jupiter, dont la croûte de glace recouvre probablement un océan liquide en contact avec un substrat silicaté en activité (similaire à un fond océanique). Si l'étude de Shtarkman et al. [2013] ne permet pas d'affirmer qu'un système biotique puisse émerger dans un tel milieu (car le lac Vostock était déjà ensemencé par des organismes vivants à l'époque de son isolement glaciaire), elle permet de comprendre que ce n'est pas un milieu hostile au vivant et que celui-ci peut s'adapter pour y subsister. En d'autres termes que c'est un milieu "habitable". C'est un pas fascinant vers l'élaboration des possibilités que peut représenter l'océan d'Europe et, potentiellement, ceux d'autres lunes glacées du système solaire.


Shtarkman YM, Koçer ZA, Edgar R, Veerapaneni RS, D\u2019Elia T, et al. (2013) "Subglacial Lake Vostok (Antarctica) Accretion Ice Contains a Diverse Set of Sequences from Aquatic, Marine and Sediment-Inhabiting Bacteria and Eukarya". PLoS ONE 8(7): e67221.

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