Sous des conditions martiennes privilégiées simulées en laboratoire, l'article de de Vera et al. [2013] rapporte qu'une espèce de lichen antarctique a survécu en adaptant naturellement son rythme de photosynthèse en seulement 34 jours.

Figure de couverture. Pleopsidium chlorophanum sur une roche de type granitique [de Vera et al., 2013].

Les niches biologiques martiennes

Aujourd'hui, il apparaît certain que Mars ait connu des conditions favorables à l'écoulement d'eau liquide en surface dans un lointain passé. Ce constat permet de nombreuses spéculations sur les possibilités qu'une biosphère ait pu alors émerger, mais aucune trace de vie disparue n'a encore été trouvée. Disparue ? Certains émettent la possibilité que si des organismes ont évolué sur Mars, le changement des conditions planétaires les a forcé à migrer vers des endroits partiellement protégés et plus favorables à leur survie, moyennant un petit effort d'adaptation. Ces lieux sont appelés des "niches biologiques". Sur Mars, on considère que le sous-sol (renfermant peut-être de l'eau liquide), les glaces polaires et les anfractuosités des roches (partiellement protégées des radiations) sont de potentielles niches biologiques.

Dans une étude récente [de Vera et al., 2013], une équipe allemande teste partiellement la viabilité de cette dernière hypothèse en soumettant un lichen terrestre, Pleopsidium Chlorophanum, aux conditions martiennes qui peuvent régner aujourd'hui dans les fissures des roches (Fig.1). Ce lichen est une espèce connue pour survivre en Antarctique dans un climat extrême en terme de température, d'aridité et de radiations permettant la photosynthèse. Des expériences similaires, concernant d'autres organismes et des niches biologiques différentes, ont déjà été menées mais, selon les dires des auteurs, jamais sur des périodes aussi longues. Ici, 34 jours.

Une roche granitique en Antarctique dont les fissures sont des niches biologiques pour le développement du lichen Pleopsidium Chlorophanum

Fig.1. a. Une roche granitique en Antarctique dont les fissures sont des niches biologiques pour le développement du lichen Pleopsidium Chlorophanum. b. Une roche présentant des anfractuosités similaires, dans le cratère Endurance sur Mars. [de Vera, 2013].

Les conditions expérimentales

L'équipe a ramené d'Antarctique des échantillons du lichen et les ont placés dans une chambre isolée où plusieurs conditions martiennes de moyennes latitudes sont recréées, comme la composition atmosphérique (95 % de CO2), les températures (jusqu'à -50°C) et le spectre solaire atteignant la surface martienne. Ces paramètres évoluent avec le temps afin de simuler le cycle diurne/nocturne. De façon cocasse, les auteurs indiquent que les lampes recréant le spectre solaire étaient allumées 16h par jour sauf les week-ends où elles restaient éteintes (le labo étaient fermé j'imagine) ! Trois échantillons de lichen ont été placés sous lumière non-filtrée afin de garantir un niveau de radiations martiennes maximales (6344 kJ.m-2), et trois autres échantillons ont été placés sous lumière diffusée (269 kJ.m-2), simulant l'environnement protégé que représente les fissures de la roche. Un échantillon témoin a également été placé en conditions terrestres clémentes. La viabilité des lichens durant l'expérience a été évaluée en mesurant leur activité de photosynthèse (par fluorescence) et en identifiant le taux de cellules mortes (par microscopie)

Une adaptation aux implications multiples

Au bout de 34 jours, Le lichen placé sous radiations maximales ne présentait plus de signes d'activité métabolique. Par contre, le lichen qui se trouvait en conditions martiennes priviliégiées sous un rayonnement atténué, similaire à celui reçu dans une anfractuosité rocheuse, était toujours vivant. La traçabilité de son activité organique montre que le lichen a modifié son métabolisme pour adapter son rythme de photosynthèse au nouvel environnement. Les auteurs rapportent une période de "stress" d'environ 7 jours avant que cette adaption amène une certaine stabilité de l'activité de photosynthèse. Aprés 34 jours, l'adaptation semblait complète.

L'étude conclut sur plusieurs points. D'abord, sans pouvoir confirmer la théorie des niches biologiques martiennes, il ne parait pas impossible que des organismes eurent pu s'adapter à un ancien changement de l'environnement martien. Bien sûr, il faudrait réaliser ce genre d'expérience sur plusieurs générations afin de confirmer qu'une telle adaptation est pérenne et propice au développement, et c'est sans compter sur tous les autres évennements un peu stressants pour le vivant qui ont pu jalonner l'histoire martienne depuis cet époque. Pour les fans de la Trilogie Martienne de Robinson, on y voit également la possibilité d'ensemencer la planète rouge, mais je laisse de côté le débat éthique un peu précoce sur ce sujet. Enfin, nous mettant face à nos responsabilités, les auteurs soulignent avec réalisme que leurs résultats sont surtout une raison supplémentaire pour consciencieusement désinfecter nos machines d'exploration afin d'éviter la contamination du sol martien par des organismes terrestres.


de Vera J-P., Dirk Schulze-Makuch, Afshin Khan, Andreas Lorek, Alexander Koncz, Diedrich Möhlmann, Tilman Spohn (2013). Adaptation of an Antarctic lichen to Martian niche conditions can occur within 34 days, Planetary and Space Science, Available online 4 September 2013, ISSN 0032-0633.

Next Post Previous Post