[Bamber et al., 2013] rapporte la découverte d'un mega-canyon sous l'inlandsis du Groenland grâce à la collecte de données radars de subsurface. Sa genèse serait antérieure à la formation de l'inlandsis. Aujourd'hui, sa présence pourrait témoigner de l'efficacité des systèmes de drainage au Groenland et ainsi expliquer l'absence de lacs sous-glacaires, contrairement à l'Antarctique.


L'absence de lacs sous-glaciaires

Les mécanismes pouvant générer ou migrer de l'eau liquide à la base d'une calotte glaciaire sont nombreux. Au Groenland, les conditions pour que ces mécanismes soient activés sont souvent réunies. Par exemple, l'eau qui fond en surface durant l'été peut inciser verticalement la glace et ainsi migrer en profondeur vers l'interface roche/glace. Les échanges d'énergie à cette interface peuvent aussi faire fondre la glace qui y est présente. En Antarctique, ce dernier mécanisme existe et une partie de l'eau s'accumule en des lacs sous glaciaires que l'on compte par centaines. Alors que les preuves de l'existence d'eau basale fondue sont nombreuses au Groenland (les plus directes provenant des opérations de carottage de la glace), les lacs sous-glaciaires y sont pratiquement absents.

Topographie du socle rocheux dans la région Nord du Groenland

Fig.1. Topographie du socle rocheux dans la région Nord du Groenland. En vert, on voit se dessiner le cours du canyon. Les trois petites sections bleue, noire et rouge, localisent les images radars (respectivement A, B et C) de la figure 2 [Bamber et al., 2013].

Un canyon sous-glaciaire de 750km de long

Le signal émis par les radars de subsurface (HF/VHF) traverse la glace et est réfléchi par la roche, permettant ainsi d'imager la forme du socle d'un glacier. Montés sur des plateformes aériennes, ils peuvent couvrir des échelles régionales. Dans cette étude, les auteurs ont réuni plusieurs jeux de données de ce type obtenues durant les 40 dernières années au-dessus de la région nord du Groenland afin d'obtenir une carte de la topographie du socle (fig.1) sur lequel repose la glace. Ils ont ainsi découvert un canyon géant de 750 km de long (comparable au Grand Canyon américain) atteignant 800 m de profondeur à son embouchure pour une largeur d'environ 10 km (fig.2). Dans cette région, la roche est un craton cristallin (les plus vieilles roches sur Terre) dont l'érosion menant à la formation de vallées requiert de très grandes échelles de temps. Les auteurs supposent ainsi que le canyon est plus vieux que la calotte glaciaire elle-même (datée à 3,5 millions d'années). D'ailleurs, sa forme très encaissée ne correspond pas à de l'érosion glaciaire, mais plutôt à de l'érosion fluviale lente par une rivière peu profonde, uniquement possible à l'époque où le Groenland était libre de glace.

Un système de drainage efficace et des plateformes de glace instables

L'existence d'un tel canyon et du bassin de drainage associé peut-être très efficace pour récolter l'eau basale fondue et la décharger dans l'océan, limitant ainsi la formation et l'alimentation de lacs sous-glaciaires. Cette découverte est limitée à la région Nord du Groenland, mais suggère que des systèmes similaires peuvent être également présent au Sud afin d'expliquer, là aussi, l'absence de lacs. L'eau qui se décharge ainsi dans l'océan peut accroître l'instabilité des plateformes de glace qui se forme en bordure de l'inlandsis, où se déversent les grands glaciers émissaires.

Trois images radar représentant des sections verticales de la topographie du canyon

Fig.2. Trois images radar (localisées sur la fig.1) représentant des sections verticales de la topographie du canyon (bed return) [Bamber et al., 2013].


Bamber J.L., Martin J. Siegert, Jennifer A. Griggs, Shawn J. Marshall, and Giorgio Spada (2013). Paleofluvial Mega-Canyon Beneath the Central Greenland Ice Sheet, Science 341 (6149), 997-999.

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