D'après Anand et al. [2012], des établissements humains autonomes sur la surface lunaire ne sont actuellement pas envisageables, non pas à cause d'une inefficacité des techniques ISRU (In-Situ Ressource Utilization), mais en raison de notre complète méconnaissance de l'abondance et de la localisation des ressources disponibles.


Les finalités de l'exploration spatiale

Le travail d'exploration et de compréhension de l'espace interplanétaire mené par la recherche spatiale a déjà abouti, depuis un peu plus de trente ans, à l'exploitation commerciale des orbites terrestres basses et géostationnaires offrant des services satellitaires de communication, de localisation et d'observation à l'échelle planétaire, et développant aussi, mécaniquement, les activités privées liées aux lancements spatiaux. Les retombées économiques de l'exploration spatiale s'expriment sur des temps très longs, mais il faut s'attendre, au cours des prochaines décennies, à ce que d'autres secteurs ayant atteint une maturité suffisante pour devenir rentables, soient finalement cédés à l'initiative privée. Le prochain est l'émergence d'un véritable secteur astronautique orienté vers le vol habité (e.g. Virgin Galactic, SpaceX, XCOR Aerospace) se démarquant clairement des activités du secteur aéronautique actuel, et partiellement initié par la politique de la NASA suite à l'abandon de la navette.

Utilisation des ressources in-situ (ISRU)

L'acronyme ISRU, pour l'anglais "In-Situ Ressource Utilization", est encore peu répandu dans le langage courant, mais deviendra un facteur déterminant pour toute les activités susceptibles de tomber entre les mains de l'initiative privée à la suite de la maîtrise industrielle du vol habité. Le terme ISRU désigne toutes les techniques permettant de générer localement (in-situ) les consommables nécessaires à des activités humaines autonomes sur un corps planétaire et, par extension, dans le but d'exporter ces ressources afin d'accomplir le paradigme d'une réduction de notre dépendance aux seules ressources terrestres.

Les ressources lunaires

Evidemment, tout cela se joue sur de longues échéances difficiles à pronostiquer. Mais, pour rendre compte de ce mécanisme, il me paraissait intéressant de rapporter l'évolution partielle des thèmes des articles scientifiques dédiés à la recherche lunaire en particulier, basculant lentement de la recherche fondamentale vers, pourrait-on dire, une sorte de recherche appliquée préparant de possibles activités humaines. Justement, un numéro de décembre 2012 de Planetary and Space Science (Volume 74, Issue 1) était consacré à la préparation scientifique de l'exploration lunaire. L'article de Anand et al. [2012] en est parfaitement représentatif.

C'est un article de synthèse qui passe brièvement en revue nos connaissances des ressources lunaires et de leurs possibles utilisations. Les auteurs se concentrent d'abord sur l'identification des gisements permettant d'extraire ou de produire de l'oxygène, de l'hydrogène, de l'eau et des métaux. Ils distinguent les mers lunaires, qui sont des étendues magmatiques cristallisées, des terrains cratérisés (highlands). La composition des mers lunaires sont connues par les 382 kg d'échantillons ramenés des missions Apollo. On y trouve par exemple de l'ilménite (FeTiO3), particulièrement convoité car sa réduction par des processus ISRU permettent d'obtenir du fer, du titane, de l'oxygène et potentiellement de l'eau lorsqu'il réagit avec de l'hydrogène [Schwandt et al, 2012]. Des instruments en orbite ont détecté des affleurements d'anorthosite pur contenant aussi, potentiellement, de l'ilménite et de la magnétite dans les highlands. A cela s'ajoute la richesse des premiers millimètres du régolithe qui emprisonne des produits tels que l'hydrogène, le carbone, l'azote et l'hélium issus du vent solaire, et qui peuvent assurer une plus grande indépendance vis-à-vis d'un approvisionnement terrestre. De l'eau moléculaire a également été identifiée dans le régolithe, et des dépôts de glace d'eau sont effectivement présents dans les cratères polaires, mais en quantité ambiguë. potentiellement, le sous-sol lunaire renferme aussi des minerais résultants de mécanismes géochimiques et pétrologiques communs aux corps planétaires qui se sont différenciés.

Une abondance et une répartition inconnue

Cependant, Anand et al. [2012] concluent en soulignant très fortement nos connaissances parcellaires, largement insuffisantes, de l'abondance et de la localisation exacte de ces ressources. En effet, les échantillons Apollo, provenant essentiellement des mers lunaires, ne rendent pas compte des variabilités spatiales des ressources, et les moyens satellitaires ne peuvent analyser que les affleurements en surface. Si un établissement humain autonome sur la Lune était entrepris aujourd'hui, il prendrait le risque d'atterrir dans une région où il y a du fer mais pas d'oxygène, ou bien encore de l'eau dont le réservoir se tarirait en peu de temps.

Un effort d'exploration substantiel est donc nécessaire afin d'identifier les régions optimales pour l'application des techniques ISRU, particulièrement grâce à la densification du maillage d'échantillonnage du sol lunaire par des missions au sol et l'optimisation des techniques de télédétection.


Anand M., Crawford I.A., Balat-Pichelin M., Abanades S., van Westrenen W. Péraudeau G., Jaumann R., Seboldt W. (2012) A brief review of chemical and mineralogical resources on the Moon and likely initial resource utilization (ISRU) applications, Planet. and Sp. Sc. 74 (1), 42-48. Schwandt C., Hamilton J. A., Fray D. J., Crawford I. A. (2012) The production of oxygen and metal from lunar regolith., Planet. and Sp. Sc. 74 (1), 49-56.

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